Les centres de santé continuent à défrayer l’actualité de par leur multiplication en Île-de-France et du fait de la liquidation judiciaire en mars 2016 du plus emblématique d’entre eux : l’Association DENTEXIA.
Deux arrêts récents de la Cour de Cassation donnent un coup d’arrêt à la dérive commerciale de certains d’entre eux.
Définition légale des centres de santé
Cette définition est donnée par l’article L. 6323-1 du code de la santé publique et a été légèrement modifiée à la suite de la loi n°2016-41 du 25 janvier 2016 dite Loi TOURAINE :
« Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Ils assurent des activités de soins sans hébergement, au centre ou au domicile du patient, aux tarifs mentionnés au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, et mènent des actions de santé publique, de prévention, d’éducation pour la santé et des actions sociales et pratiquent la délégation du paiement du tiers mentionnée à l’article L. 322-1 du même code. Ils peuvent mener des actions d’éducation thérapeutique des patients (…)
Les centres de santé constituent des lieux de stages pour la formation des différentes professions de santé.
Ils peuvent soumettre à l’agence régionale de santé et appliquer les protocoles définis à l’article L. 4011-2 dans les conditions prévues à l’article L. 4011-3.
Ils sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales ou des établissements publics de coopération intercommunale, soit par des établissements de santé.
L’identification du lieu de soins à l’extérieur des centres de santé et l’information du public sur les activités et les actions de santé publique ou sociales mises en œuvre, sur les modalités et les conditions d’accès aux soins ainsi que sur le statut du gestionnaire sont assurées par les centres de santé (ce paragraphe en gras est un ajout de la loi TOURAINE).
Les centres de santé élaborent un projet de santé incluant des dispositions tendant à favoriser l’accessibilité sociale, la coordination des soins et le développement d’actions de santé publique.
Le projet médical du centre de santé géré par un établissement de santé est distinct du projet d’établissement.
Les médecins (ou les chirurgiens-dentistes) qui exercent en centre de santé sont salariés ».
Il est à remarquer que la loi n°2009–879 du 21 juillet 2009 dite loi BACHELOT et la loi n°2011-940 du 10 août 2011 ont supprimé l’agrément préalable de l’autorité administrative qui était auparavant nécessaire à la création d’un centre.
Depuis l’entrée en vigueur de ces textes, l’Agence Régionale de Santé dite A.R.S. (qui a succédé à la D.D.A.S.S.) se contente « d’accuser réception » du projet de création et ne peut donc plus intervenir qu’a posteriori et encore dans certaines limites.
Il n’est en effet prévu par la loi de 2016 un contrôle a posteriori de ces centres par l’agence régionale de santé dite A.R.S. qu’en cas de manquement compromettant la qualité et la sécurité des soins, d’où l’intérêt pour le Conseil de l’Ordre de signaler à l’A.R.S. tous les dysfonctionnements constatés dans les centres et de menacer ceux-ci de saisir ladite A.R.S.
Les différents centres de santé
Seuls les organismes à but non lucratif, les collectivités territoriales, les C.P.A.M. ou les établissements de santé (hôpitaux par exemple) peuvent créer et gérer des centres de santé et ce, sous la surveillance de l’A.R.S.
On en recense essentiellement trois sortes :
1/ Les centres de santé gérés par les collectivités territoriales :
Ce sont des groupements publics ou parapublics dont les plus anciens sont les centres de santé municipaux. Il s’agit le plus souvent de services municipaux, sans personnalité morale distincte où les praticiens ont un statut particulier : ils y sont salariés mais ne relèvent pas du code du travail.
2/ les centres de santés gérés par des mutuelles :
Les groupements mutualistes sont à but non lucratif même si les structures mutualistes sont très diverses et peuvent gérer des risques très différents et s’adressent essentiellement à des clientèles qui ne sont pas défavorisées : mutuelles d’entreprises ou mutuelles de fonctionnaires par exemple.
3/ les centres de santé gérés par des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 :
Ce sont surtout ces associations qui peuvent poser problème en ce sens qu’elles peuvent dissimuler des entreprises purement commerciales.
C’est en utilisant ce cadre associatif (loi du 1er juillet 1901) que se sont créés des centres dits « low-cost ». Cette appellation ne correspond à aucune réalité juridique spécifique ; il s’agit simplement d’une formule de type publicitaire ou journalistique destinée à attirer l’attention du public sur les tarifs avantageux que pratiqueraient ces centres.
Comme l’a écrit à juste titre le Conseil National dans sa lettre n°146 d’avril 2016 à propos de la mise en liquidation judiciaire, le 4 mars 2016 de l’Association DENTEXIA : « Le modèle des nouveaux centres associatifs dentaires créés sous couvert de la loi Bachelot porte le germe d’une insupportable dérive commerciale de notre pratique dentaire. On peut se demander quel projet politique réel a motivé la disposition de la loi qui favorise une telle dérive et si les décideurs avaient bien conscience de ses conséquences.
Ce sont aujourd’hui plus d’un millier de patients qui ont été piégés et qui en font les frais. Comment comprendre un tel niveau de dérégulation, qui invitait de nouveaux acteurs à se défaire de nos règles déontologiques et de notre éthique, ciments de la confiance nécessaire entre le patient et le thérapeute ? D’où peut-on tenir que, sous couvert d’une politique sociale, il faudrait les voir se délier de nos principes ?
Comment peut-on envisager sérieusement que, sans garde-fous, ce type de centres de soins dentaires échapperait au lucre ? Car tous ces nouveaux acteurs n’ont en effet qu’une seule perspective en vue : maximiser leurs profits(…) ».
Dans un courrier en date du 23 février 2016 adressé au Ministre de la Santé, le Défenseur des droits, Jacques TOUBON s’était lui-même interrogé sur la multiplication des centres dentaires « qui profitent indéniablement d’une certaine dérégulation » et avait appelé de ses vœux une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin de réaliser un état des lieux. Cette enquête de l’IGAS a eu lieu mais pour l’instant le Gouvernement n’a pas encore modifié les textes du code de la santé publique pour tenter de mieux contrôler dans l’avenir la création des centres de santé et empêcher tant les conflits d’intérêts que leur dérive commerciale.
Fort heureusement la plus haute juridiction judiciaire française, la Cour de Cassation, vient de rendre deux arrêts de principe qui décident que si un centre de santé peut informer les patients de son existence et de ses conditions de fonctionnement, il n’a pas le droit pour autant faire de la publicité.
Par deux arrêts en date du 26 avril dernier, la Cour de cassation vient de censurer les arrêts des Cours d’appel de Paris et Colmar dans des affaires qui portaient sur la publicité faite par des centres (l’un fonctionnant sous forme d’association et l’autre sous la forme mutualiste).
La Cour de cassation indique ainsi très clairement que s’il « incombe à un centre de santé […] de délivrer des informations objectives relatives, notamment, aux prestations de soins dentaires qu’il propose au public, il ne peut, sans exercer de concurrence déloyale, recourir à des procédés publicitaires concernant ces prestations, de nature à favoriser le développement de l’activité des chirurgiens-dentistes qu’il emploie, dès lors que les chirurgiens-dentistes sont soumis en vertu de l’article R 4127-215 [du Code de la santé publique] à l’interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité ».
Dans un second arrêt, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si la mutuelle en question « n’avait pas eu recours à des procédés publicitaires de nature à favoriser le développement de l’activité des chirurgiens-dentistes employés par elle, constitutifs, comme tels, d’actes de concurrence déloyale au préjudice de praticiens exerçant la même activité hors du centre de santé mutualiste ».
La Cour de cassation rétablit ainsi, à la demande du Conseil national de l’Ordre, l’égalité d’application de l’interdiction de recours à la publicité sur les actes de soins opérés par tous les chirurgiens-dentistes, quel que soit leur lieu ou mode d’exercice, dans l’intérêt supérieur de la santé publique et des patients, qui, d’après le Conseil National, ne pourront que s’en féliciter.