L’aléa correspond à un événement qui ne pouvait être prévu, et contre lequel par conséquent on ne pouvait rien. Ce n’est pas une faute, ni une erreur, ni un échec de soins, mais un risque non maîtrisable indépendant de tout manquement du praticien. En fait, la littérature ne fournit pas de définition qui soit susceptible d’être utilisée pour caractériser l’aléa. La Cour de cassation tente de le définir comme « un risque accidentel inhérent à l’acte médical qui ne pouvait être maîtrisé ».
D’après un article du Dr Philippe Pirnay – Bulletin de l’Académie Nationale de Chirurgie dentaire N°51-2008
Définition et cas
L’aléa correspond donc à une conséquence anormale au regard de l’état de santé antérieur du patient, et non à une évolution prévisible de cet état. Quelles que soient les compétences et les précautions prises, il demeurera toujours un risque irréductible dans le domaine des soins, lié en partie à l’état actuel des connaissances qui sont encore imparfaites, en partie à la nature même de l’être humain, et à la particularité du phénomène biologique dont les lois ne sont pas immuables comme le sont les lois physiques.
Pour exemple, à l’occasion de l’extraction de dents de sagesse, un chirurgien-dentiste a provoqué chez sa patiente des cicatrices labiales importantes ainsi qu’une altération du nerf mentonnier droit.
La patiente porte plainte contre son praticien. La Cour de cassation conclut : « Dès lors que la réalisation des extractions n’impliquait pas ces atteintes labiales et neurologiques, le praticien, tenu d’une obligation de précision du geste de chirurgie dentaire, avait commis une faute dans l’exécution du contrat le liant à sa patiente. »
Il ne s’agit donc là non pas d’aléa thérapeutique, mais bien d’une faute par absence de précision du geste.
M. Dumont rapporte l’exemple de la patiente se plaignant d’une anesthésie totale de l’hémi-langue droite à la suite d’une extraction de dent de sagesse inférieure droite (48) sous muqueuse et infectée. Cette perte de sensibilité s’accompagnant d’une perte de goût, la patiente, responsable d’une cave vinicole, se plaignait aussi d’une diminution importante de ses capacités à tester le vin.
Sur la question de savoir s’il s’agissait ou non d’une maladresse de l’opérateur, le tribunal de grande instance, puis la Cour d’appel entérinent les conclusions de l’expert judiciaire en constatant que l’insensibilisation de l’hémi-langue droite est survenue en dehors de toute faute, qu’elle constitue un risque inhérent à l’acte médical pratiqué et qui ne pouvait être maîtrisé.
Pourtant, la Cour de cassation avait jugé que la réalisation de l’extraction n’implique pas l’atteinte du nerf sublingual et qu’il n’était pas établi que le trajet de ce nerf ait présenté une anomalie.
La jurisprudence est donc fluctuante, et souvent imprécise au sujet de l’aléa.
La jurisprudence de la réparation
La jurisprudence de la réparation de l’aléa thérapeutique a longtemps reposé sur l’arrêt Bianchi. Or il était extrêmement restrictif par la sévérité des conditions qu’il imposait pour l’indemnisation. Aujourd’hui la loi Kouchner a répondu clairement à cette question en permettant la mise en place d’un dispositif de règlement amiable des dommages subis par les patients victimes d’accidents médicaux et aléas thérapeutiques, en faisant intervenir les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation.
C’est pourquoi cette loi du 4 mars 2002 apparaît certainement comme la plus importante de tous les textes votés ces dix dernières années en matière de santé. Elle consacre l’aléa thérapeutique réparant des atteintes à l’intégrité physique et assure pour le malade le droit au respect de la dignité de la personne humaine, protégeant le chirurgien-dentiste d’une réparation de tout risque médical.
Ainsi donc, le caractère amiable sur lequel insiste tant la loi du 4 mars 2002 doit être favorisé autant que possible, en ce qu’il bénéficie finalement à tous. La loi offre la possibilité d’une indemnisation de l’accident médical imprévisible lorsqu’aucune faute du chirurgien-dentiste n’est rapportée. Il s’agit donc d’un droit à réparation, inscrit aux articles L 1141-1 à L 1142-3 du Code de la santé publique de l’aléa thérapeutique, mais aussi d’affection iatrogène ou infection nosocomiale, quelle que soit la nature de l’acte pratiqué.
Que peut-on faire pour limiter les aléas ?
Mieux former sans cesse les professionnels de santé pour l’acquisition de compétences, et ce en nombre suffisant, signifie de meilleurs soins pour les patients. Les actions de prévention s’appuient essentiellement sur des principes d’assurance qualité, avec la boucle « prévoir, exécuter, mesurer, corriger, prévoir… »
Enfin, il nous faut mentionner Cyril Clément, juriste, qui explique qu’une démarche qualité est nécessaire pour lutter contre ces accidents : est-elle pour autant suffisante ? Il faut se garder de croire qu’il est possible d’éliminer tous les risques d’accident car là où existe une présence humaine, existe un risque.
La Cour de cassation et le Conseil d’État rappellent régulièrement que l’erreur médicale n’est pas une faute. C’est à ce prix que la médecine peut continuer à prendre des risques et à progresser. C’est pourquoi, de même que trop de lois tuent les lois, trop de responsabilités étouffent l’esprit d’initiative du chirurgien-dentiste. Il est donc nécessaire de garantir sa liberté professionnelle, de ne pas limiter son initiative et sa liberté d’entreprendre en exigeant de lui un risque zéro.
Pour en savoir plus
L’aléa thérapeutique en chirurgie, Philippe PIRNAY, L’Harmattan, 2008.
http://www.librairieharmattan.com